Doc GOMI

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PRIVATISATION DE LA SANTE : le cheval de Troie mutualité

Par le DR Y Le Flohic Médecin Généraliste

Le terme "réseau de soin" utilisé par la Mutualité est un élément de langage, un "coucou" : il s'applique normalement à une organisation à but médical non lucratif, dont le soin est la préoccupation. [1]

Si la Mutualité ne verse pas d'argent à des actionnaires, elle est factuellement intéressée par l'augmentation de son chiffre d'affaires et en regardant la trajectoire de la mutuelle de Rouen , devenu AXA, ou celle de Groupama, en s'intéressant aux rapports sociaux à l'intérieur de ces entreprises, en constatant les fusions acquisitions, les projets d 'internationalisation, il devient parfois un peu difficile de trouver le souffle mutualiste originel ; les partisans d'une économie sociale s'inquiètent avec raison des dérives, pas uniquement les médecins. [2]

En l 'occurrence, ce dont il est question ici, c 'est d'un contrat liant chaque professionnel de soin à une organisation financière d'assurance, mutualiste ou non, contrat qui va définir les obligations des deux parties, et dont on peut aisément imaginer le contenu, dont les assureurs veulent nous faire croire qu'il sera hautement humaniste ; la proposition de loi est concise : " Les mutuelles ou unions peuvent toutefois instaurer des différences dans le niveau des prestations lorsque l’assuré choisit de recourir à un professionnel de santé, un établissement de santé ou un service de santé membre d’un réseau de soins ou avec lequel les mutuelles, unions ou fédérations ont conclu un contrat comportant des obligations en matière d’offre de soins". [3]

Les réactions récentes de la MGEN, de Harmonie mutuelle, indiquant que l'objectif n'est pas le conventionnement individuel sont donc inexactes [4] ; les propos de la ministre, indiquant qu'elle souhaite conserver le libre choix du médecin par le patient ne correspondent pas au texte de loi déposé [3] , dont elle ne semble pas avoir une connaissance précise, sauf à imaginer qu'elle tente un peu de nous embrouiller : si le choix reste libre, le remboursement sera bien différent, et le choix tout de même bien contraint.

Le terme de réseau de soin est donc peu approprié , et il serait plus juste de parler de réseau d'affiliation :

Il s'agira d'un échange de procédé marchand entre le professionnel de santé et l' assureur complémentaire , l 'assureur amenant des clients au professionnel, qui en échange pratiquera des prestations qui conviennent à l'assureur (et on peut imaginer qu'il sera question plus certainement de marge bénéficiaire que de confort et de qualité du soin, c 'est dumoins ainsi que l'histoire se déroule dans tous les pays qui en ont fait l'expérience) ; le texte précise bien que le contrat individuel comportera "des obligations en matière d'offre de soins" : le financier décide du soin.

Aux Etats Unis ou se sont implantés ces réseaux de soin, ces "obligations en matière d'offre de soins" ont donné lieu à des catastrophes sanitaires ; les états ont été obligés de légiférer pour protéger les patients des dérives liées aux économies réalisées sur le dos des patients : une loi est entrée en vigueur en 1995 dans l’Etat du Maryland pour préserver les jeunes mères et leurs enfants. Ceux quittant l’hôpital avant 24 heures doivent remplir des critères précis concernant leur état de santé et recevoir obligatoirement la visite d’une infirmière à domicile. Dans le New Jersey, une loi impose aux assureurs le remboursement d’au moins 48 heures d’hospitalisation si le médecin ou la mère en fait la demande. Dix-sept Etats américains ont légiféré, en 1998, pour que toutes les prescriptions concernant la régulation des naissances soient remboursées par les réseaux d'affiliation. Le risque de sélection par les médecins des patients les " mieux portants " pour ne pas dépasser leur enveloppe a été mis en évidence : en effet, la majorité des enveloppes fixées par les réseaux de soin sont déterminées à partir d’un coût moyen de prise en charge estimé au niveau régional.

Et le coût pour le financeur (entreprise Etat ou particulier) ? encore pire, puisque la délivrance des prestations s'effectue par des organismes qui évoluent parfois en situation de monopole géographique ou sectoriel ; en 1995, 26 firmes localisées à Saint-Louis, dont McDonnell Douglas corp, ont fondé le " Gateway Purchasing Association " afin de se défendre contre les tarifs élevés des réseaux de soin locaux. En 1996, le GPA avait déjà obtenu une baisse des primes de 20 %.

Le MEDEF qui ne dit mot a déjà oublié que la quasi faillite de Genéral Motors en 2005 [5] est liée aux coûts de la protection sociale non mutualisée, organisée sous forme de marché aux USA, et dont les prix se sont envolés, avec des plans de retraite et de santé négociés par chaque entreprise, fort ressemblant au marché qui se développe en France. (plans de retraites complémentaires et de santé complémentaires vendus aux entreprises, bénéficiant d'avantages fiscaux très importants, proposé par les assureurs mutualistes et capitalistiques) : ou l'on voit que compétitivité peut rimer avec mutualisation, mais pas forcément avec mutualité.....

Et en France ?

Ce type d'organisation existe déjà depuis bien longtemps, comme se plait à le rappeler la Mutualité depuis deux jours, et elle s'applique à l'optique et aux soins dentaires. Avec des résultats qui sont connus : c'est précisément dans ces deux domaines qui ont été abandonnés aux mutuelles et assureurs que l'accès pose des problèmes financiers de reste à charge les plus lourds, et que des patients ne peuvent parfois plus accéder au soin. C'est aussi dans ces deux domaines que les dépassements d'honoraires et les prix sont les plus élevés, et la mise en place de ces réseaux, censée modérer les prix, a visiblement eu l'effet inverse. [3] [10]

Les renoncements aux soins concernent en effet principalement l'optique et le dentaire : 56% des renoncements concernent les soins dentaires, 12% l’optique et 9% les soins de spécialistes. A l’inverse, les soins d’omnipraticiens ne concernent qu’un peu moins de 5% des renoncements ; on voit ici que plus les complémentaires interviennent, moins l'accès au soin est préservé, plus la sécurité sociale intervient, plus l'accès est possible sans renoncement. [9] (pour l optique, la sécurité sociale intervient à hauteur d 'environ 6% contre 70% pour la consultation du généraliste).

C'est pourtant ce que la Mutualité est en train d'essayer de vendre aux Français et aux gouvernants : de l 'accès au soin, une modération dans les prix, une "mise au pas" des professionnels de santé, avec un échec total sur toute la ligne, visible et vérifiable au quotidien par tous les assurés sociaux.

L'UFC, une fois n'est pas coutume , s'est intéressé aux mutuelles étudiantes constatant que l'opacité y règne, que les coûts sont aberrants, et qu'il serait souhaitable de transférer ces régimes aux caisses de sécurité sociale, avec une économie immédiate de 90 millions pour l'Etat [6] ; la LMDE, poids lourd parmi ces mutuelles, préconise par contre que l’impôt finance toujours plus [7] , sous forme de chèque santé, une organisation qui devrait être dissoute , selon UFC [6] et qui appartient également à la Mutualité Française ; qu' avons nous appris collectivement de l'affaire MNEF ? [8] Qu'en est t'il des autres mutuelles ? Cette analyse concernant l'économie des coûts de gestion n'est t'elle pas transposable aux autres mutuelles ?

Fort de ces constats , l'idée reste pourtant d'étendre l'emprise de ces réseaux d’affiliation à l'ensemble de la médecine, ce qui ne peut qu'étonner

Le projet en cours , en trois phases , promet de conséquents profits aux assureurs en santé :

- les assureurs prennent sous contrat des professionnels dont les pratiques leur semblent conformes, et les patients n'ont pas le choix d'aller ailleurs si ils veulent être correctement remboursés, c est ce que propose la loi ; la mutualité indique que le libre choix du médecin n'est pas altéré, oui, mais le remboursement pourra être différent. [3]

- la sécurité sociale continue son désengagement, optimisant toujours plus le chiffre d 'affaire des complémentaires (abandon de certaines ALD, comme l hypertension artérielle, voire création d'un reste a charge sur les pathologies ALD) [11]

- dans un grand mouvement humaniste, le gouvernement finance une complémentaire pour tous, et verse donc l'argent de la protection sociale aux mutuelles (qui ne publient pas leur frais de gestion qui sont de l'ordre de 25% soit 8 milliards d 'euro), aux assureurs privés (qui rémunèrent leurs actionnaires) ; en oubliant qu'on avait une organisation à laquelle les Français et les médecins restent attachés : la sécurité sociale, dont nous venons de démontrer toute la pertinence sociale et économique.

Rappelons que les assureurs privés , les instituts de prévoyance et la Mutualité couchent dans le même lit depuis fort longtemps, il s 'appelle l 'UNOCAM et défend les intérêts financiers communs des assureurs complémentaires, qu'ils soient mutualistes ou capitalistiques.

Le résultat est potentiellement au delà de leurs plus folles espérances, avec un résultat tout a fait prévisible sur la qualité du soin, son indépendance des puissances financières, ainsi qu 'en terme d'accès au soin.

Pour l'achat d'un premier pacemaker, le second sera peut être offert ?

Pour ce qui est de la confiance que l'on peut accorder à la mutualité française dans une qualité de soin, un accueil des plus pauvres, un respect de la personne humaine, les constats récents effectués par nos collègues médecins exerçant en centre mutualiste sont accablants : le dernier communiqué de presse en date du deux novembre du syndicat des médecins des centres mutualistes des bouches du Rhône titre :"Dérives des centres de santé du Grand Conseil de la Mutualité vers le « système de santé américain » : pas de carte sécu, pas d’argent = pas de soins".

Leur communiqué de presse est intégralement joint à cet article en annexe, car nous soutenons leur démarche, et souhaiterions que M. Jean Paul Benoit s'exprime sur le sujet, puisqu'il est en charge de la Mutualité en Région Paca, et semble très soucieux de l'accès au soin.

Le roucoulement des médecins pigeons n'est pas prêt de s'éteindre, et nous souhaitons être rejoints par ceux qui pensent qu'une refonte de notre système de santé est urgent, respectant les patients, les financeurs (citoyens et entreprises) , respectant également les professionnels de santé.

Cette refonte ne peut s'organiser qu'autour de notre bien commun, la sécurité sociale, en remettant les complémentaires à leur juste place, celle du complément, l'inverse de ce qui nous est proposé actuellement.

1 - www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2009-08/reseaux_de_sante.pdf
2 - www.pcf.fr/sites/default/files/ap2e_lettre_2011-02_campagne_bancassurance.pdf
3 - www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/rapport_annuel_hcaam_version_definitive_2011.pdf
3 - www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion0296.asp
4 - www.lequotidiendumedecin.fr/actualite/reseaux-de-soins-mutualistes-la-mgen-et-harmonie-demandent-au-gouvernement-de-ne-pas-ceder?ku=Bwz6Aaa7-ABy6-CDA6-wvBA-xx9w66aDzEEC
5 - http://fr.wikipedia.org/wiki/General_Motors
6 - http://www.quechoisir.org/argent-assurance/assurance/assurance-des-personnes/editorial-mutuelles-etudiantes-bonnet-d-ane
7- http://www.mutualite.fr/L-actualite/Sante/La-LMDE-radiographie-la-sante-des-etudiants
8 - http://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_de_la_MNEF
9 - http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/plfss_2013_annexe1_1_maladie.pdf , page 98
10 - http://www.sudouest.fr/2012/10/03/alain-afflelou-contre-les-remboursements-des-lunettes-839088-705.php
11 - http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000024249276&dateTexte&categorieLien=id

Annexe :

COMMUNIQUE du Syndicat des médecins des centres de santé mutualistes des Bouches du Rhône

Dérives des centres de santé du Grand Conseil de la Mutualité vers le « système de santé américain » : pas de carte sécu, pas d’argent = pas de soins

Le 29 octobre 2012,

Le syndicat des médecins des centres de santé polyvalents et médicaux gérés par le Grand Conseil de la Mutualité avec effarements des nouvelles procédures d’accès au tiers payant mises en place par la direction du GCM à partir du 01 /11/2012.

Comme d’habitude, la direction du GCM prend des mesures inadaptées et sans concertation avec les professionnels de santé :

Refuser à un patient le bénéfice du Tiers Payant pour absence de la carte vitale alors que l’attestation sécurité sociale au format papier et la couverture mutuelle peuvent être à jour est une aberration.

Refus d’accès à une consultation pour un patient s’il y a défaut de paiement est scandaleux.

La « dérogation » prévue en cas « d’urgence médicale avérée » est inapplicable.

Qui va juger de l’ « urgence médicale » au guichet ? Le personnel d’accueil en sous effectif et en surcharge de travail ? De plus ce personnel n’a pas la compétence pour réaliser cette tache. La tache est déjà difficile pour le personnel formé des « centres 15 ».

Qui va interroger le patient se présentant pour une urgence au guichet ? Qui sera le garant du secret médical ?

Le syndicat des médecins refuse de mettre en « danger medicolégal » le personnel d’accueil et de faire subir un risque sanitaire aux patients fréquentant nos centres de santé.

Le syndicat des médecins ne peut cautionner ces pratiques en opposition avec le code de déontologie médicale et avec l’esprit mutualiste qui est l’élément fondateur des centres de santé.

Nous rappelons que le 40e congrès de la Mutualité Française à Nice le 18 octobre 2012 avait pour thème : « L’accès aux soins : quel rôle pour la Mutualité ? Quel rôle pour les mutuelles ? ». Et en préambule, M. Etienne Caniard Président de la Mutualité Française y a déclaré : « … Aujourd’hui, l’objectif doit être la réduction des inégalités d’accès aux soins… »



22/11/2012
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