Médecine de foire au JT de France 2
Comme tout citoyen payant de façon incontournable une redevance télévision, je peux légitimement m'inquiéter de l'usage qui en est fait.
En particulier quand son usage impacte mon travail, ainsi que mes patients.
Je regarde généralement d'un oeil détaché un certain nombre d'âneries qui circulent dans l'ensemble des médias ; la presse papier est parfois un peu préservée par un travail de fond plus attentif et moins dans l 'instantané, c 'est l'impression qu'il en ressort.
Les blogs bruissent d'analyses souvent assez définitives, souvent interessantes, mais souvent complexes , écrites par des professionnels ne prenant pas toujours le soin d'expliciter leur cheminement intellectuel.
Les titres des médias en ligne débordent d'imagination pour nous faire cliquer, nouvelle monnaie de singe des "pure players".
Globalement, je suis exposé, ainsi que mes patients à un volume d'information grandissant, et dont la qualité globale ne me semble pas tirée vers le haut.
Depuis un certain nombre de semaines, le motif de mes consultations est détourné : nous ne parlons plus bien souvent du problème du patient ou de son soin, mais de la dernière affaire médiatique dont le traitement provoque au mieux de l'anxiété, au pire des arrêts de traitement ou parfois de l'agressivité.
Difficile pour le patient de déméler l'écheveau des informations délivrées par "de grands docteurs ou professeurs" qui parfois vendent un livre, parfois font une brillante carrière politique, et dont bien souvent l'activité les a quelque peu éloigné du soin (si tant est qu'ils l'aient pratiqué un jour).
Il est consternant de voir sur France Deux un JT consacrant un grand reportage à la mauvaise prescription des psychotropes, usant de raccourcis, négligeant les causes profondes, caméra cachée à l 'appui (méthodes particulières pour un JT de service public, on verrait ça plutôt chez Cauet) : les médecins généralistes sont nuls en psychiatrie, ils ont eu 100 heures de cours, ils donnent n'importe quoi à n 'importe qui, et le salut est dans la psychothérapie....
En complément de ces cent heures, j ai tout de même travaillé trois années a temps complet en Psychiatrie, et bien qu 'aillant naturellement mes limites, je prends le soin de me former à ce que je pratique, et une majorité de confrères font de même, l'insulte est donc violente envers ma profession. Les cinq millions de patients qui ont entendu ces âneries pourront légitimement douter dans ma capacité de prescription, le mal est fait.
Plus embétant : des patients arrêtent leur traitement quand ils voient celà ; certains nous en parlent, d autres non.
Nous effectuons depuis plusieurs semaines des consultations pour des personnes qui ont arreté leur pilulle et courrent le risque de grosesse (13000 IVG en Angleterre suite au scandale du Pill Scare) , des personnes qui arretent leur médicament anticholestérol (un patient après AVC avec sténose carotidienne de 60%) et cette semaine grace en soi rendu à France Deux, j ai eu un sevrage aigue en benzodiazépine (arrêt brutal du traitement prescrit par un collègue psychiatre, avec symptomes brutaux et tout sauf banaux, risque de crise d'épilepsie).
Il y a souvent "du fond", un vrai problême, mais dont la résolution ou l'origine se situe généralement bien loin des syllogismes qui nous sont vendus dans cette information "de foire" ce qui rend ardu le chemin qui mène aux bonnes décisions, et l'explication en est parfois difficile.
Il est plus vendeur , à une heure de grande écoute, de distiller de la peur, que de réfléchir et de proposer des pistes pour la mise en place de solutions qui n'attirent pas forcément la ménagère de 40 ans qui va regarder la publicité avant/après le JT.
Le point Godwin si l'on peut dire a été atteint par le Docteur Journaliste JeanDaniel Flaysakier , qui nous parle à l antenne du JT du 14 février d'anémies provoquées par les prises de sang, ou de cancers provoqués par les scanners, on en rirait presque, sauf à en connaitre l'impact auprès de patients qui bénéficient et parfois subissent de longs bilans dans le cadre de pathologies graves.
Ce journaliste a une responsabilité particulière : étant médecin, son discours porte évidemment plus, et ses propos se devraient d'être scientifiquement établis.
Encore plus fort : lors de ce journal, une étude de la fédération hospitalière de france est commentée, mettant en lumière que certains médecins trouvent que certains actes ne sont pas justifiés ; plutôt que de s'intéresser à "quels actes" , une histoire dramatique est livrée au public, une patiente opérée "pour rien" par, semble t il, un chirurgien tout a fait incorrect.
Cette étude posait pourtant une question interessante (actes redondants inutiles, aux urgences, dans les centres de santé, dépistages systématiques, riques juridiques..), le traitement à charge qui en a été fait à l 'encontre des chirurgiens est tout bonnement extraordinaire ; avec une conclusion en latin "primum non nocere" digne de Diafoirus, et qui cache bien mal l'indigence intellectuelle du raisonnement.
Remarquons le procès en cours pour non dépistage du taux de PSA : le généraliste se trouve là dans une injonction schizophrénique organisée et le plus simple est de prescrire le taux de PSA annuellement ce qui ne lui sera jamais reproché.
Prises de sang inutiles, conduisant à des examens complémentaires inutiles, débouchant sur des actes parfois inutiles et mutilants ; mais bien plus simples à prescrire qu'à déprescrire : voici un sujet interessant, mais difficile : le généraliste est pris là en tenaille entre diverses obligations, et une fois le dépistage fait, la suite des événements ne peut être arrêtée.
De ce sujet , il est bien plus simple de faire de l'audience de foire : le chirugien opère "pour rien" une patiente pour se faire de l 'argent par cupidité.
Ainsi va le raisonnement du bon Docteur Flaysakier, toujours du bon coté du manche : on illustre "les actes inutiles" par un fait divers, les OGM, c 'est bon pour la santé, l'augmentation des leucémies à proximité des centrales nucléaires c'est juste un hasard, et l'attitude Française sur le cholestérol ne mérite pas de critique......
Le service public (et obligatoire) de télévision pourrait concourrir utilement aux débats de société sur la médecine.
Au delà de la médiocrité de certaines analyses, la première condition incontournable serait l'application de la législation sur les liens d'intérêts.
Ne pas déclarer ses liens d'interet avant de communiquer au public : il y a là une faute essentielle, en particulier des journalistes télévisuels et radio dans l'organisation des débats, qui explique une part non négligeable des scandales sanitaires du médicament : toujours cette complaisance journalistique a permis aux laboratoires de communiquer par le biais de "leaders d'opinion" qui ont accès a ces médias nationaux en un coup de fil, et auxquels on ne pose jamais cette question pourtant légale, par paresse intellectuelle, par conformisme et probablement par respect "du grand professeur".
Je n 'ai à ce jour jamais entendu sur France 2 notre "spécialiste maison" JD Flaysakier demander l'application de cette loi essentielle qu 'il connait pourtant : il y déroge systématiquement comme l'ensemble de ses collègues journalistes, mettant ainsi en danger son interlocuteur qui s'expose à des poursuites ; les reportages venant en appui de sujets médicaux, de même ne font jamais état des liens d'intérêts.
Le respect du public et des professionnels commencerait là : respect de la législation sur la prévention des conflits d 'intérêts (non appliquée depuis cinq années) , transparence et qualité de l'information.
Ne sommes nous pas en droit d'attendre celà d'une chaine de service public?
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