Point de situation Covid au 25 Aout.
Jérome m’appelle, il exulte : « tu te rends compte, Laurent Pietraszewski a dit et répété qu’il faut aérer les locaux »
Depuis le mois de mars, mon quotidien est partagé entre mon métier de médecins généraliste, et la compréhension, l ‘explication de cette épidémie, accompagnée parfois de l’espoir que suscitent ces avancées.
Période d’échanges et de partages, de combats pour essayer de faire émerger des évidences, d’épargner des souffrances , d’éviter des décès.
Dès ce mois de mars, un certain nombre d ‘éléments concernant ce SarsCov2 ont permis d’expliquer ce que nous observions ; ces éléments issus d’échanges et d’informations de confrères , le Dr Klein de Wuhan , le Pr Drosten (un des responsable de la réponse allemande), Trevor Bedford , biologiste et généticien américain, nous faisaient mesurer les progrès à effectuer, et notre retard.
Hélas nous n’existions plus vraiment : la réponse à cette épidémie était hospitalo centrée, l ensemble des cas et suspicions devait être hospitalisés , nous n’avions pas de matériel de protection, et plus d’une quarantaine de collègues médecins généralistes en mourront. L’épidémie, qui est un phénomène populationnel dont plus de 90% des cas sont non hospitaliers n’existait pas en dehors des murs.
Plusieurs concepts et éléments fondamentaux se sont imposés ou émergent :
- nous ne sommes ni dans une deuxième vague, ni dans la continuation d’une première vague, mais dans une deuxième phase de cette épidémie, avec une diffusion communautaire plus large, et dans l ‘immédiat une moindre virulence multi factorielle.
- ce virus a une capacité aérosol : il peut rester en suspension dans l air, dans les lieux clos. Partout ou il est interdit de fumer, il faut porter un masque.
Dès le mois de mars, nous demanderons le port de masque en particulier dans les transports, et des collègues vont créer un site d information , stop postillons, rassemblant l’ensemble des information sur la fabrication de masques, dont la pénurie va provoquer une partie de notre bilan. L’OMS reconnaitra l’existence probable de ces aérosols en Juillet, et les experts français et autorités qui brandissaient des études sur le masque dans le cadre des épidémies de grippe accepteront cette possibilité.
Le virus est le même à l’hôpital , dans les transports, dans les magasins et tous les lieux clos. Nous organiserons donc plusieurs opérations : Jamais sans mon masque le 2 mai, puis deux tribunes en Juillet avant que ce port de masque en lieux clos ne soit à peu près généralisé.
- la voie de contamination gouttelettes et surface directe (par les mains) ainsi que la voie aérosol semblent bien plus importantes que la voie surface indirecte (par les objets) qui , si elle existe, est manifestement accessoire.
- l’existence de « super contaminateurs » mais surtout d’événements de « super contamination » : 10 à 20% des malade sont responsable de 80% ou plus des contaminations. Les forts excréteurs ne peuvent être identifiés, les lieux de forte propagation sont par contre connus.
Ces contaminations s’effectuent majoritairement en lieux clos par des personnes qui excrètent énormément de virus, et provoquent les événements de contagion massive rapportés et documentés depuis le mois de mars : bateaux, chorales, églises…. ; en extérieur il ne se passe pas grand chose : des contaminations inter individuelles (qui peuvent toutefois être graves). Ceci explique que l Allemagne n’a jamais fermé l ‘accès aux espaces naturels, et le fait que la doctrine du non port de masque « si la distance de plus d’un mètre est respectée » ne peut pas fonctionner. Il est probable que la dynamique de cette épidémie soit liée a ces événements de lieux clos sans lesquels nous pourrions éviter un phénomène d’exponentielle.
- ce n ‘est pas une épidémie, c est une clusterémie : la contagion se déplace de lieux clos en lieux clos à l’occasion d’événements aérosols, et un autre phénomène y concoure : « la dose fait le poison » : la répétition des doses contaminantes, et leur caractère aérosol qui en aggrave la sévérité explique la concentration des cas graves sur des territoires limités géographiquement et dans les communautés de lieux clos. Inversement, le virus assez peu contagieux en extérieur en population générale peut s’éteindre, et il l ‘a déjà fait : certaines introductions territoriales n’ont pas prospéré.
Nous avons ainsi une explication au fait que ce virus est aérosol, tout en ayant une propagation en population moins forte que des virus qui le sont constamment : le R (taux de reproduction) est ainsi intermédiaire, ce qui a entrainé un déni de son caractère aérosol chez certains spécialistes.
- l’infusion précède le phénomène de masse critique et de décalage d’âge : le virus circule en population jeune en février comme actuellement, d autant plus que les personnes à risque se protègent ; c’est un virus social ; la probabilité d’un événement de lieux clos augmente à mesure de la contagion territoriale, et la probabilité d’un événement de ce type est fonction du nombre de personnes présentes : faible si il y a deux personnes présentes, double si il y en a quatre, décuplé si il y en a vingt.
A partir d’un certain seuil de circulation communautaire, tout événement de lieux clos devient à risque, et la charge virale contaminante, répétée en période d incubation devient explosive, entrainant plus de cas sévères, provoquant eux mêmes plus de cas secondaires. D’autres facteurs dont l’aération , le cubage d’air, les UV , sont aussi importants, ainsi que des facteurs génomiques mal identifiés actuellement. Et les comorbidités de l’hôte vont participer à la gravité de ces événements communautaires.
Certaines communautés de lieux clos constituent des hubs parfaits : des groupes stables de lieux clos, avec des personnes qui y transitent. Inversement, le virus peut se retrouver parfois dans des impasses ; il est donc indispensable de cibler les dépistages sur une notion de prédiction du risque de lieu , de communauté relai ou de groupe vecteur.
- la lenteur et la perfection sont les deux ennemis principaux de la lutte contre cette épidémie : toute mesure tardive (masques, tests, tracing , isolation efficace) se paye en terme de bilan humain, social et économique. Ce ne sont pas des mesures parfaites et lentes qui permettent de juguler l ‘épidémie, c’est une somme somme de mesures imparfaites, rapides, et complémentaires. Nous militons depuis des mois pour l’adoption de tests plus rapides, plus imparfaits en terme de sensibilité, mais plus déployables et répétables hebdomadairement, voire quotidiennement. C’est probablement le sujet sur lequel nous avons maintenant le plus besoin de progrès immédiat.
- l’opposition entre économie , liberté et contrôle épidémique est factice : sans contrôle de l épidémie, le prix économique et humain est différé, mais infiniment plus lourd.
- les formes peu symptomatiques, peu excrétantes sont peu contaminantes et moins longtemps ; il est probable que la quatorzaine et la lenteur de nos tests qui sont hors délai pour plus d’un tiers soient à revoir : des isolements plus courts (une semaine) pour les asymptomatiques contacts, mais systématiques et précoces, sans attendre le résultat des tests seraient probablement plus efficients.
- le SarsCOV2 n’est pas un organisme vivant, il n’a aucune intelligence ou volonté ; il a part contre la même force que l’eau qui s’écoule des montagnes du fait de la gravité : en construisant de petites digues, on modifie son écoulement, et ces mesures entrainent une reconfiguration de l’épidémie. Nos policies, comme celles adoptées dans les autres pays reconfigurent l’épidémie.
C’est ce que nous avons perçu et compris de ce SarsCoV2 depuis mars.
Je suis souvent interrogé sur le devenir de cette épidémie ; nous constatons actuellement une exponentielle de cas dont nous craignons qu’elle ait une traduction en terme de cas graves, dont il semble que l on observe un frémissement ; nous ne savons pas ce qu’il en adviendra en septembre, pas plus que dans les mois qui suivront et plaidons pour une prévention limitant la diffusion : il faut continuer à gagner du temps, à éviter des formes graves, à limiter la probabilité d’événements de lieux clos qui est dépendante de cette diffusion.
Personne ne connait l’avenir, même si depuis des mois les médias bruissent d’avis et d’expertises définitives basées sur des impressions personnelles et fondés parfois sur de vagues éléments scientifiques toujours non conclusifs et fréquemment inexacts.
Nous militons pour la prévention et l’appropriation de cette prévention, ainsi que la gestion du risque par les personnes, et les communautés : le niveau de cette prévention, et son acceptabilité sociale n’appartient pas aux médecins et experts, mais à la population. Elle nécessite une information, et un changement de paradigme : passer d’une vision hospitalo centrée et paternaliste à une vision populationelle et à la mise en oeuvre de la charte d ‘Ottawa., portant sur la promotion de la santé. Notre rôle de médiation et d’information est primordial, et nous souhaitons que les mesures de prévention ne relèvent pas d’un régime systématique d’obligations et de sanctions : l’épidémie de VIH a été maitrisée par l’appropriation de la prévention par la population et les communautés.
Nous souhaitons pour cette rentrée ne plus avoir à écrire de tribune pour l’adoption de mesures conservatoires urgentes ; les éléments conceptuels sur lesquels est actuellement fondée la réponse à cette épidémie sont maintenant globalement en phase avec notre analyse. Reste à les divulguer et à informer la population.
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