LA GAUCHE CANIARD* (co auteur Benjamin Bajer)
Le candidat Hollande a promis le changement, mais il est difficile de comprendre le sens des politiques de santé ainsi que les messages délivrés par l'éxécutif.
Comme dans d'autres domaines, on peut craindre que la restriction des marges financières ne conduise à une gestion comptable de la santé, avec un clouage au pilori médiatique des professionnels de santé pour cause de dépassement d'honoraires.
Reste à expliquer aux Français ce qu'ils commencent à comprendre : ils payent deux fois, pour la Sécu ainsi que pour une complémentaire et bien souvent ils ne sont plus remboursés; certains ont payé toute leur vie et n'ont même plus accès au médecin car le dernier généraliste est parti à la retraite non remplacé.
Et reste surtout à agir, et c'est bien là que le bât blesse : chacun aura compris qu'au delà de cette "grande réforme de gauche qui a enfin mis au pas les libéraux", rien n'est réglé, et le doute plane sur ce nouveau mode de gouvernance.
Dès qu'on se penche sérieusement sur ce dossier, on comprend immédiatement que les dépassements d'honoraires sont les plus lourds et excessifs en milieu hospitalier, qui n'est plus concerné par cette réforme ; ailleurs, bien souvent, l'indigence des tarifs secteur 1 (tarifs opposables, fixés par la Sécurité Sociale) entraîne soit la disparition du professionnel, soit un complément d'honoraires en secteur 2; c'est du vécu.
D'autre part, l'installation des jeunes en libéral ne se fait plus, car les tarifs opposables de l'assurance maladie n'ont pas évolué normalement (pas de prise en compte de l'inflation et de l'augmentation des charges des cabinets).
Enfin, le problème de fond n'est pas réglé et ne le sera pas, car tout le monde voit bien la totale désorganisation du système de soins qui ne peut conduire qu'à son effondrement : l'hôpital fait de la médecine générale ; les complémentaires jouent le rôle de la Sécu et souvent elles ne "complémentent" plus rien. On demande aux pharmaciens et aux sages femmes de jouer aux médecins, et les médecins généralistes, quand ils ne se suicident pas (première cause de mortalité des médecins en exercice) dévissent leur plaque et vont faire des papiers (la médecine administrative est correctement honorée aux 35 heures, pas le soin).
Tout cela avec une pente vertigineuse des coûts logistiques (administration, informatique, audits externes...), parmi lesquels des délires informatiques dont le DMP (Dossier Médical Personnel dénommé "dossier mal parti" dans le milieu médical) participent à cette profusion de dépenses qui ne vont pas au soin. Dernière livraison de la Cour des Comptes : les hôpitaux de Marseille ont dépensé 14 millions d'euros depuis 2005 dans un DMP qui n'existe toujours pas.
L'acmé de cette situation chaotique a été la présentation par le Président et sa ministre de la politique de santé au congrès de la Mutualité : pourquoi à cet endroit ?
Les médecins ont découvert que les cadeaux fiscaux et subventions aux complémentaires représentent en un an environ 8 milliards d'euros, ce qui permettrait de rembourser trois fois la totalité des "dépassements d'honoraires" de tous les médecins pendant une année si cet argent était donné à la Sécurité Sociale.
Mais aussi, les frais de gestion des mutuelles, également de l'ordre de 8 milliards d'euros annuels, représentant environ 25% du budget annuel, doivent être comparés aux 5% de la Sécurité Sociale(oui les frais de gestion des mutuelles représentent le triple des dépassements d'honoraires, et les subventions aux complémentaires aussi !).
Cette présentation s'est accompagnée de projets de loi déposés au parlement, l'un prolongeant d'un an l'obligation aux mutuelles de publier leurs comptes et donc laissant l'opacité financière portant sur 8 milliards d'euros de frais de gestion, l'autre créant des réseaux de soins privés au profit des mutuelles, et leur permettant de moduler les prestations en fonction de l'affiliation du professionnel sur lequel il pourra être exercé des exigences comptables influençant les décisions médicales.
On ne peut donc que constater le changement... dans la continuité ! Cette politique de démission organisée de la Sécurité Sociale durant maintenant depuis bien longtemps, avec cette fois un bon coup d'accélérateur : le passage de ces mesures signifie une privatisation complète de la santé avec une soumission économique des médecins aux demandes médicales des assureurs; organisation hautement rentable et potentiellement capitalistique permettant enfin de mettre en place des réseaux de soins intégrés, maîtrisant l'ensemble de la prestation, depuis la vente du contrat groupe complémentaire jusqu'à la délivrance du médicament; avec une décision médicale encadrée par les financiers privés, bravo !
L'habillage de ces mesures et dispositions dans un package bobo anti-dépassement était une brillante idée.
Mais le bel édifice commence à branler, les Français ne sont pas idiots et, s'ils ont du mal avec les dépassements d'honoraires, ils en ont un peu plus lorsqu'ils découvrent ébahis ce que devient l'argent du soin. Nous tenons à nous excuser d'avance auprès de la Matmut et de son directeur, mais manque de chance, nous ne sommes pas fans de Chevallier et Laspalès, et découvrir que leur rémunération de 900000 euros représente 4% des frais de communication de la Matmut nous a très fortement irrités car cela signifie que 22 millions d'euros partaient en 2007 en publicité, rien qu'à la Matmut.
Gloups.
Fatalement, on se pose donc la question "et le reste c'est quoi ?".
Les données concernant les rémunérations sont rares, et ne se préoccupent pas du "tact et mesure" qu'on aime à rappeler aux médecins.
A la Matmut, seule donnée officielle, la somme des 10 plus hautes rémunérations 2009 est de 2.520.585 euros, soit en moyenne plus de 250.000 euros par an. Des sources font état d'une rémunération de M. Havis de plus de 300.000 euros (sans qu'on sache s'il est également rémunéré ou défrayé pour la présidence d'Intermutuelle Assistance ou pour sa participation aux treize conseils d'administration où il semble sièger).
On retrouve ce niveau de rémunération d'environ 20 à 30 fois le Smic dans un certain nombre d'entreprises mutuelles :
- Roger Iseli (DG Macif) : 371773 euros
- Gérard Andreck (président Macif) : 321666 euros
Le record ayant été explosé par M. Jean Azema (DG Groupama) : 4,383 millions d'euros dont 893333 euros de fixe, à la tête de Groupama (274 Smic tout de même !), qui a été "envoyée dans le mur" et a donc été recapitalisée par la Caisse des Dépôts en 2011, bref par nos impôts (nationalisation passée curieusement inaperçue).
Et les autres dirigeants chez Groupama ? Les neuf plus hautes rémunérations se partagent 5.206.000 euros soit 48.000 euros par mois, environ trois "Smic annuel" tous les mois...
Groupama n'est pas une "mutuelle mutuelle" mais une "mutuelle d'assurances" nous expliquera M. Caniard. AXA, Groupama, le Crédit Agricole ont aussi été il y a longtemps des vraies mutuelles mutuelles..., et nous ne pouvons que constater dans quel sens finit par pencher la balance.
Grace à tout cet argent, les mutuelles peuvent donc rivaliser d'imagination dans leurs actions de sponsoring, ou dans leurs opérations politico-immobilières.
Nous ne cherchons pas à ce stade à parler d'un "Mutuelle-gate", nous ne creuserons donc pas le sujet des relations entre les mutuelles et le parti socialiste, qui avait d'ailleurs été abordé il y a quelques années par la justice au sujet de la MNEF.
Clubs de rugby, de hockey, de foot, bateaux du Vendée globe, écuries de course automobile..., rien n'échappe à la générosité des mutuelles; la Matmut compte deux écuries automobiles (Imsa performance et Oreca), ainsi qu'une course, la Matmut Carrera Cup (son patron adore les voitures et aurait huit Porsche selon la rumeur).
Le très beau siège social de la Matmut à peine achevé (90 millions d'euros), cette mutuelle appartenant à la Mutualité Française a projeté à Rouen la construction de deux hotels trois et quatre étoiles avec spa et d'un Centre de Congrès pour une centaine de millions d'euros; pas d'hébergement de patients Alzheimer prévu au programme, mais un restaurant gastronomique.
Et peut-être des visites du château de la Matmut, chouette lieu d'art contemporain. M. Caniard siégeant au conseil d'administration de la Matmut a-t-il approuvé ?
Un mot aux mutualistes sincères qui se font trimbaler dans cette histoire : le but des mutualistes, les vrais (pas ceux qui s'enrichissent dans ce système) est généralement d'assurer un accès social au soin et une qualité toujours améliorée, techniquement et humainement ; ces buts sont aussi les nôtres.
Contrairement à ce qu'on a pu entendre, le mouvement des Pigeons, qui réclame une indépendance des médecins (indépendance financière et dans ses décisions médicales) prône une revalorisation du secteur 1 (baisse de la somme restant à la charge du patient), et une redéfinition du rôle des complémentaires dont la tendance actuelle (internationalisations et regroupements au sein de Sociétés de Groupements d'Assurances Mutuelles) ouvre la voie aux pires dérives.
Il est donc grand temps de redéfinir les missions et la place de chacun des acteurs, en commençant par un état des lieux précis, comportant une ouverture immédiate des livres de compte des mutuelles qui bénéficient des subventions de l'Etat. Nous verrons alors pourquoi la grogne des patients contre le « reste à charge » est justifiée, et qui est le véritable ennemi de l'accès aux soins, le médecin libéral ou la « complémentaire » santé !
On peut encore revenir aux fondamentaux de notre Sécurité Sociale, avec un accès social au soin, des médecins indépendants des pressions économiques et correctement honorés. Mais il ne peut s'agir que d'un combat, le nombre effarant d'improductifs qui se sont introduits et ont corrompu notre système de soins va rendre la tâche difficile.
Dans l'immédiat vos médecins et chirurgiens vont se battre pour ne pas être vendus aux assureurs et vont exiger une transparence dans l'utilisation de votre argent.
* Etienne Caniard est président de la mutualité Française
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