Médicament générique : qui veut gagner des millions ?
- "Docteur, le pharmacien a dit qu'il faut mettre non substituable en toute lettre après chaque ligne."
- "Je suis plus à l'école primaire, je copie plus des lignes".
Après bien des péripéties , voilà donc ce qu'est le générique pour nous médecins : un enjeu de conflit entre médecin, patient , et pharmacien.
Le patient veut (souvent) son princeps, le pharmacien ne veut pas lui donner, car il risque des sanctions, et le médecin n'a pas envie de retourner à l'école primaire.
Et malgré tout, le taux de substitution dans ce qu'on appelle le répertoire est de l 'ordre de 75%, ce qui veut dire que sans changer les dispositions légales (le périmètre de substitution) , il est fort probable que celui ci ne puisse augmenter et stagne bien à la traine de nos voisins européens, alors que cette substitution a été mise en place en 1999 en France.
Que fait la France par rapport a ses voisins ?
En France, les médicaments génériques sont inscrits par l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des
Produits de Santé (AFSSAPS) au répertoire des groupes génériques. Ce répertoire liste, pour chaque
médicament de référence (ou princeps), les spécialités génériques qui lui sont associées, constituant
ainsi des groupes génériques au sein desquels les présentations ont toutes le même principe actif et la
même forme pharmaceutique (dosage…).
Le droit de substitution, accordé en 1999 aux pharmaciens, ne peut s’exercer que dans le cadre
exclusif de ces groupes génériques ; aussi, les pharmaciens ne peuvent-ils substituer à un princeps
que les génériques qui lui sont associés dans le répertoire. En outre, lorsqu’ils existent, les tarifs
forfaitaires de responsabilité (TFR) ne s’appliquent qu’aux présentations d’un même groupe générique
ayant la même contenance.
Seuls le Danemark et la Suède disposent d’un répertoire formel des génériques. Un système similaire est en place en Allemagne et aux Pays-Bas, où les génériques sont classés dans des groupes de médicaments interchangeables (dits « jumbo groups » en Allemagne).
Leur champ est cependant plus large que les groupes génériques du répertoire français puisqu’ils
rassemblent non seulement les présentations ayant un même principe actif mais aussi leurs équivalents
thérapeutiques. Enfin, il n’existe pas de répertoire au Royaume-Uni.
Aux Pays-Bas, au Danemark et en Suède, les pharmaciens ont le droit de substituer un générique à un
médicament prescrit. Il s’agit même d’une obligation légale en Suède. Les pharmaciens allemands ne
disposent pas de droit légal de substitution mais sont tenus par le principe légal « d’aut-idem-rule » de
dispenser le générique qui coûtera le moins cher à l’assuré. Au Royaume-Uni, enfin, les pharmaciens
n’ont pas de droit de substitution. Cependant, lorsque la prescription est rédigée en DCI
et qu’il existe une offre générique, ils sont intéressés financièrement à la délivrance de génériques puisqu’ils ne seront remboursés que sur la base du tarif de référence (cf. page suivante). En outre, s’ils négocient auprès du fabricant un prix d’achat inférieur à ce tarif, ils peuvent conserver la différence (modulo : une ristourne – ou claw-back – reversée au NHS).
Plus généralement, l’adhésion des pharmaciens aux politiques en faveur des génériques s’est souvent
appuyée sur des incitations financières. Aux Pays-Bas, les pharmaciens ont bénéficié des remises
accordées par les fabricants de génériques. En Allemagne, la rémunération des pharmaciens ne varie
pratiquement pas en fonction du prix des médicaments. Enfin, en France, l’incitation à la substitution a
été obtenue en alignant, en valeur absolue, la marge perçue sur les génériques sur celle du princeps.
Graphique : Part de marché des génériques en volume dans le marché global (2009)
On voit donc ici que nous sommes assez loin de certains de nos voisins , et que nous n'avons aucune chance de nous hisser au niveau des Pays Bas, même en faisant recopier des lignes aux médecins.
Il faudrait en effet modifier l'autorisation de substitution, et l'élargir en autorisant par exemple la substitution par le médicament le moins cher de la classe thérapeutique.
L'industrie s'est en effet parfaitement adaptée à l'arrivée du générique, qui aurait dû représenter une véritable catastrophe : nombre de molécules représentant des chiffres d'affaires importants sont en effet tombées dans le domaine public, et ont pu de se fait être copiées.
Les industriels ont donc mis sur le marché de nouveaux produits tout a fait similaires aux produits généricables (ne nécessitant que très peu de R&D), ont obtenu des agences un prix d'achat très intéressant, et font la promotion massive de ces produits qui ne sont pas substituables.
Ces produits portent un petit surnom : les "metoo", et concernent les principales classes thérapeutiques : dans chaque classe il existe un ou plusieurs produits non substituable, dont le service rendu n'est ni meilleur et parfois moindre que le produit généricable, et pour lequel la sécurité sociale paye un prix bien supérieur à ce qui serait raisonnable.
L'exemple classique, le Crestor , dont voici la fiche commission de transparence 2005 : son service rendu est a priori en 2005 moindre que les statines de références qui sont tombées dans le domaine public.
L'Elisor (pravastatine) tombe dans le domaine public en 2006, et pourra être substituée par de la pravastatine, il y a donc fort à parier que les efforts marketing portant sur l 'Elisor, qui vont profiter surtout à son générique (pravastatine) devraient s'épuiser assez vite.
Crestor qui ne rend donc pas de service meilleur que les génériques a donc toutes les chances de faire un "hit" et c'est bien ce qui va se produire : 6,6 milliards de dollars de chiffre d affaire en 2011, et le Crestor va couter en 2012 la modique somme de 338 millions d 'euros à la sécurité sociale.
prix du crestor 2013 (source Eurekasanté)
prix de la pravastatine arrow 2013 (source Eurekasanté)
Le Tahor, atorvastatine, qui occupait la première position en 2011, chute à la 7e position, avec 242 millions d'euros de remboursement. Cette baisse drastique, de 48,4% en un an, est due à sa générication en avril 2012.
Dans un cas comme dans l 'autre, rien ne venait justifier cette dépense sur un plan médical ou scientifique, le générique faisant même mieux, jusqu'à preuve du contraire.
Les règles françaises de substitution protègent donc ces metoo, avec la bénédiction ministérielle et du législateur, pendant que les commentateurs économiques se désolent du faible taux de substitution en France, en relayant le discours inopérant qui nous est servi depuis bientôt treize années.
Les pays qui ont un plus fort taux de substitution autorisent simplement a délivrer un produit à la place de ces metoo.
On nous cache tout on nous dit rien
Mais au delà du fait que le dispositif légal réserve un chiffre d'affaire injustifié à des produits pseudo innovants, qu 'en est til du prix consenti au générique en France par nos autorités?
La réponse se trouve ci dessous, issue d’une étude canadienne.
On voit que la France consent des prix élevés , y compris à des médicaments tombés dans le domaine public. La nouvelle zélande , qui performe, a mis en place un systême d’enchères en 1996.
Les pays bas ont fait baisser les prix de leurs génériques de 60% en deux ans (2007/2009), sans faire écrire des petites lignes "non substituable" à leurs médecins, mais en pratiquant une politique d’achat au bénéfice de l’assuré plutôt qu’au bénéfice de l ’industriel.
Les prix pratiqués sont fréquemment 15 fois moindre qu'en France pour des produits strictement similaires....et peuvent donc être remboursés à 100% par les assureurs en santé.
Oui vous avez bien lu : le même produit est vendu quinze fois moins cher dans certains pays d'Europe, et l 'industriel qui le vend ne fait pas faillite.
Reprenons notre Crestor à 100 euros la boite de 90, et substituons lui la pravastatine qui est similaire en terme de résultats, ouf on est à 37 euros pour le dosage maximum et similaire.
Aux pays bas , le même produit généruqe fabriqué selon les mêmes normes de qualité et souvent par le même laboratoire se trouve lui à ....3 euros 96 pour une boite de 84 cp au lieu de 90. Soit une économie de 97% pour un résultat médicalement identique.
Inexium, autre célébrité parmi les metoo en dosage à 40mg coute 15E93 la boite de 28 ; l'équivalent générique , lui est à 9E74 (omeprazole 20Mg).
Au pays bas, la boite de 15 cp est à 0,39 euros pour un résultat médical identique soit trente fois moins cher.
Voici l'adresse du lien donnant les prix des médicaments, pour ceux qui souhaiteraient jouer à "qui veut gagner des millions".
Pendant ce temps, la sécurité sociale va continuer à me verser une prime selon le nombre de boites de génériques qui ont été substituées par le pharmacien (coût de l'informatique qui permet de compter les boites de génériques qui me sont "attribuées?").
Il va très certainement falloir faire une nouvelle campagne de communication sur le thème du générique.
Et puis les commentateurs économiques vont reprendre en boucle le discours convenu sur "ces patients et ces médecins irresponsables qui plombent l 'assurance maladie".
Alors si le médicament en général et le générique en particulier participent simplement au subventionement de l 'emploi et de l'industrie en France, grâce à une fixation délirante des prix d'achats par le CEPS, qu 'on nous le dise clairement ; on pourrait mettre une vignette "participe au financement philanthropique des industriels de la pharmacie" sur les boites, ou peut-être créer un pharmathon en 2015, les choses seraient ainsi plus lisibles.
Autre alternative : mutualiser les achats avec les pays bas, ça peut se faire en six mois, au bénéfice des deux pays.
Je vous parlerai une prochaine fois de la qualité des génériques, en attendant, continuons à jouer !
A découvrir aussi
- IGAS : l' apolitique du médicament
- Communiqué de presse de l 'ANSM portant sur le mésusage et les accidents de braguette *
- Nouveaux anticoagulants : inventons la SlowPharmacie
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 232 autres membres